Un bon nombre de blogs et de sites ont relayé les conclusions de l’étude de Gruber et Umberger récemment parue sur les conséquences de la pose du pied sur l’économie de la foulée, avec, de manière générale, un titre plutôt affirmatif: du genre: « la foulée talon est plus économique que la foulée médio-pied ».
Pour ceux qui veulent consulter cette étude (en anglais); voici le lien: ICI : « Economy and rate of carbohydrate oxidation during running with rearfoot and forefoot strike patterns » Allison H. Gruber , Brian R. Umberger , Barry Braun , Joseph Hamill, Journal of Applied Physiology Published 15 July 2013.
Le sujet de fond est que faut-il entendre par « économie de course » ? Si on cherche à comparer les conséquences des techniques de foulée sur l’économie de course, il faut d’abord être précis et d’accord sur ce qu’il faut entendre par cette notion d’économie de course, le « Graal » des coureurs d’endurance !
L’étude en question limite la notion d’économie de course à la consommation d’oxygène. Or on peut objecter que rien ne démontre que ce critère soit pertinent, et surtout qu’à lui seul, il puisse permettre réellement de mesurer l’économie de course.
Le livre très récent de l’entraîneur américain Steve Magness intitulé « The Science of Running » explique en détails que la mesure de l’économie de course ne peut se résumer à la seule consommation d’oxygène. C’est une notion beaucoup plus complexe.
Magness cite plusieurs exemples qui viennent le démontrer: notamment :
- une étude menée sur des cyclistes et qui avait démontré, sur la base de la seule consommation d’oxygène qu’une faible cadence de pédalage augmentait l’économie de pédalage ; pourtant, on peut constater aisément que les cyclistes professionnels pédalent tous à des cadences élevées. Face à cette contradiction, les chercheurs, plutôt que de conseiller aux pros de baisser leur cadence, avaient reconsidéré leurs critères pour définir l’économie du pédalage et aboutir à l’idée que c’est le coût énergétique qui est beaucoup plus révélateur de l’économie du pédalage que la simple consommation d’oxygène et que tout compte fait, il faut mieux pédaler à haute cadence.
- une autre étude dans le domaine de course à pied avait montré que les coureurs qui réduisent leur taux d’oscillation verticale (en suivant les recommandations de la méthode américaine « Pose ») voyaient leur économie de course se détériorer. Cette étude va à contre-sens de l’idée selon laquelle moins le coureur oscille verticalement, plus il est économique; elle viendrait donc plutôt montrer que le coureur qui oscille verticalement (dans une certaine mesure) est plus économique.
Si on reprend le protocole de l’étude de Gruber et Umberger en faisant courir une personne médio-pied pendant plusieurs minutes pour ensuite lui demander de passer sur une foulée talon, il se peut très bien que ce changement de biomécanique entraîne un certain relâchement musculaire de sa part (comme le dit l’étude: augmentation du temps de contact au sol, baisse de la cadence, légère augmentation de la longueur de la foulée) qui, lui même entraîne une légère baisse de sa fréquence cardiaque mesurée sur quelques minutes. Mais cela veut-il dire pour autant que le coureur devienne réellement plus économique ? et sur quelle durée ? Est-ce que sa fréquence cardiaque ne va pas réaugmenter ? Ne va-t-il pas être plus fatigué ? Avoir plus de douleurs articulaires ? Autant de questions que l’étude ne traite pas en se limitant à l’enregistrement de la fréquence cardiaque pendant quelques minutes. Autre point : l’étude commence en disant qu’à la même vitesse, tous les coureurs de l’étude (quelque soit leur foulée) ont la même consommation d’oxygène mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ont tous exactement la même performance en termes d’économie de course. On ne peut donc pas assimiler totalement consommation d’oxygène et économie de course.
Il y aurait énormément d’autres choses à évoquer sur ce sujet si vaste qu’est la biomécanique et l’économie de la foulée. En particulier, ce qu’il faut entendre par « foulée talon » ; j’ai déjà expliqué dans ce blog que cette expression recouvrait deux réalités bien différentes: la « pose talon » et la franche « attaque talon » qui n’ont pas du tout les mêmes conséquences sur la foulée : on ne peut se limiter à distinguer les foulées sur le seul facteur de la zone du pied qui rentre en contact avec le sol en premier: en effet, la biomécanique de la foulée ne se résume pas à cela et cette zone du pied n’est que le « haut de l’iceberg » de la foulée. On peut observer chez des coureurs très rapides une première entrée en contact, un effleurement, avec le talon mais, pour autant, leur biomécanique est globalement beaucoup plus proche de la foulée médio-pied que des talonneurs. Là encore, la définition de chaque terme est très importante.
Comme il faut conclure ce billet, je dirais qu’on ne peut pas rejeter cette étude de Gruber et Umberger sur l’effet de la technique de la foulée sur l’économie de course mais la question de l’économie de course est une question particulièrement complexe, sur laquelle il est impossible de tirer des conclusions hâtives. Une chose est certaine à ce sujet : nous manquons encore clairement de données suffisantes pour être affirmatif.
Bon LFR !